« Gaza est un endroit normal avec des gens normaux »
INTERVIEW : Grégoire Lalieu & Michel Collon
Vous avez été nombreux à réagir de manière positive à l’interview de Mohamed Hassan sur le Hamas. Beaucoup nous ont exprimé leur besoin d’informations claires, précises et mises en perspective sur ce type d’actualité. Nous allons donc entreprendre avec notre spécialiste du Moyen-Orient une série d’entretiens « Comprendre le monde musulman ». Le but de cette démarche est de vous livrer les clés d’une meilleure compréhension des enjeux propres à cette région riche en matières premières et convoitée par les grandes puissances. Le prochain chapitre de ce dossier portera sur la crise au Soudan et paraîtra le mois prochain. Par ailleurs, quelques lecteurs ont posé des questions supplémentaires sur la précédente interview. Mohamed Hassan y répond dans un second entretien qui clôture ainsi ce premier chapitre consacré au Hamas.
Le Hamas est présenté comme un mouvement terroriste et intégriste. Mais d’un point de vue sociologique, quel genre de dirigeants et de militants actifs compose le Hamas ?
Mohamed Hassan. Vous devez bien comprendre que Gaza est un endroit normal avec des gens normaux. Mais dans un nouveau style colonial nouveau, Israël n’autorise pas le développement de l’économie palestinienne. Car ce développement représente un véritable danger pour l’Etat juif. Gaza a une très bonne base d’artisanat traditionnel. Pour cette raison, Arafat avait déclaré au Parlement européen : « Si vous nous aidez, nous ferons de notre pays un nouveau Singapour. Si vous ne faites rien, ce sera la Somalie ! » Israël a peur de cette économie palestinienne rivale. C’est pourquoi ils l’étouffent afin de garder le monopole. Gaza est une société urbaine avec une population très active : intellectuels, clergé, petite bourgeoisie, associations féminines, businessmen travaillant dans l’import-export... Toutes ces classes composent le Hamas en tant que mouvement nationaliste. Vous avez aussi la paysannerie, mais dans une très petite proportion. Gaza est en effet un des endroits les plus densément peuplés du monde, il n’y a donc pas beaucoup de terres à exploiter.
Le Hamas est donc composé par toutes les classes de la société palestinienne. Cela ne mène-t-il pas à des contradictions au sein du mouvement ?
Mohamed Hassan. Bien sûr, le mouvement n’est pas d’une homogénéité parfaite, mais actuellement, il rallie toutes ces personnes autour de la résistance. En fait, la principale contradiction au sein du Hamas porte sur le fait d’être plus ou moins radical dans le combat. Je sais que certains Européens souhaiteraient que la résistance soit menée par un mouvement plus progressiste, mais l’Histoire n’est pas une science exacte. Comparons avec l’Indonésie. Le premier mouvement anticolonial y était « Sarakat al Islam », un mouvement islamiste créé en 1920 pour combattre l’occupation hollandaise. C’est dans ce contexte que Lénine envoya en Indonésie un communiste hollandais, Henk Sneevliet. A son arrivée là-bas, il trouva ce jeune mouvement nationaliste islamiste. Qu’auriez-vous fait à sa place ? Henk Sneevliet décida de travailler avec eux. Il était très patient et très malin et transforma ce mouvement en un mouvement communiste qui deviendra le Parti Communiste d’Indonésie, le second en ordre d’importance dans toute l’Asie. La patience est essentielle en politique.
On nous demande s’il y a des communistes en Palestine ? Une alliance avec le Hamas est-elle possible comme le Hezbollah l’a fait au Liban en 2006 ?
Mohamed Hassan. En Palestine et dans d’autres pays musulmans, vous avez besoin de communistes spécifiques comme ce Hollandais ; des communistes armés de patience, visionnaires, indépendants dans leurs idées et capables de développer leur tactique sur le terrain. Les Arabes n’ont pas besoin de ce que j’appelle les « communistes du fax », ces communistes qui donnent leurs ordres de l’extérieur. Tous les révolutions réussies ont été « fabriquées maison ». Mais certains communistes arabes sont comme le piment : rouge à l’extérieur et blanc à l’intérieur. Alors que chacun d’entre eux devrait faire son boulot sur base des spécificités propres à sa région. En Palestine, ils doivent trouver les éléments les plus démocratiques qui veulent se battre contre l’occupation. Si c’est le Hamas, les communistes doivent s’en rapprocher et travailler avec eux.
Vous savez, je peux avoir des contradictions avec ma femme, mon fils, ma fille, mon chien et mon chat ! Mais toutes ces contradictions se situent au sein de la famille et je dois les résoudre par la discussion et la négociation. Par contre, si quelqu’un pointe un fusil sur moi, ce sera une contradiction majeure ! Les communistes palestiniens doivent clarifier qui sont leurs alliés et qui sont leurs ennemis. Ils peuvent avoir des contradictions avec le Hamas et les autres partis. Mais ils doivent les surmonter en famille, car ces contradictions sont secondaires par rapport au problème qu’ils ont avec Israël.
Dans la précédente interview, vous avez mentionné la ressemblance entre le Hamas et l’IRA, le mouvement catholique irlandais luttant pour l’indépendance totale de l’Irlande. Mais l’IRA n’a jamais cherché à instaurer un Etat religieux. N’est-ce pas ce qui bloque les Européens progressistes dans leur soutien au Hamas ?
Mohamed Hassan. Je vous ai parlé du mouvement islamiste indonésien. Leur programme maximum était de bouter les hollandais hors d’Indonésie et d’instaurer un régime islamiste. Mais le mouvement a changé par lui-même et est devenu plus tard le Parti Communiste d’Indonésie. Comment le Hamas va-t-il évoluer ? Il n’y a pas de boule de cristal pour nous le dire. Comme je l’ai dit, l’Histoire n’est pas une science exacte. Le Hamas a aussi un programme maximum mais aujourd’hui, leur principale tâche est la résistance à l’Etat sioniste. Demain, il pourrait avoir une combinaison de différents facteurs, tels qu’un nouveau leadership et de nouvelles idées, qui pourrait faire emprunter au Hamas le chemin d’une révolution démocratique. Le fait est que les progressistes qui veulent soutenir les Palestiniens voudraient avoir la garantie complète que tout se passera bien. Mais il n’y a jamais de garanties complètes. Qui aurait pu prédire la dégénérescence du parti communiste soviétique qui avait réalisé la première révolution socialiste dans un pays et soutenu tous les mouvements anticoloniaux dans le monde ? Personne n’avait prévu non plus qu’Arafat négocierait les Accords d’Oslo de cette manière. Voilà où nous en sommes : le Hamas est la résistance. Je ne les soutiens pas dans leurs positions sur la femme, dans leur programme économique ou dans leurs idées fatalistes. Je les soutiens sur le point le plus important : ils sont un mouvement nationaliste de résistants qui luttent sur le terrain. Et qui peut dire de quoi demain sera fait ? Vous avez même des mouvements islamistes qui sont devenus des agents pro-impérialistes en Afghanistan ou en Arabie Saoudite par exemple. Pourquoi les personnes qui se posent des questions sur le Hamas ne s’en posent pas aussi sur ces pays ?
Amnesty a condamné le Hamas pour l’élimination d’opposants au sein de la société palestinienne après la guerre. Que pouvez-vous nous dire à ce sujet ?
Mohamed Hassan. Dans toute guerre, vous avez bien sûr avoir des accidents ou des excès. Mais aussi un problème majeur : les infiltrés. Une guerre ne se résume pas à des coups de feu. Il y a aussi la dimension politique. Israël n’attaque pas les Palestiniens seulement avec des bombes, elle les attaque aussi de l’intérieur en créant des ennemis internes. Avec l’Egypte et le Jordanie, Israël a mis sur pied un réseau de renseignements très sophistiqué. Avec l’aide de ces pays, Israël cherche à écraser la résistance palestinienne et le Hamas. Avec tout l’argent qu’ils ont, ils peuvent payer des traîtres. Ces infiltrés utilisent des téléphones mobiles et appellent l’Egypte ou la Jordanie. Ensuite, les informations remontent à Israël.
L’Etat sioniste veut couper la tête du Hamas pour écraser la résistance. Pour arriver à cela, il doit savoir quelle maison il doit bombarder. Il y a quelque chose d’important que vous devez savoir : la première attaque israélienne a été lancée sur le commissariat de Gaza à une heure bien précise, celle du changement d’équipe. C’était le moment exact où il y avait le plus de policiers dans le commissariat. Comment Israël le savait ? Grâce à ses infiltrés. C’est une guerre, pas une party ! Le Hamas se défend.
Pourquoi le Hamas s’est-il récemment approprié les aides de l’ONU ?
Mohamed Hassan. Je crois qu’ils ont été très malins quand ils ont fait ça. Laissez-moi expliquer. Par l’UNRWA et uniquement par cette agence, la nourriture et les aides entrent dans Gaza. Israël pouvait en tirer des informations tactiques. Un élément très important est que la guerre israélienne a été lancée le 27 décembre sur base du fait que les services de renseignement savaient qu’il y avait très peu de nourriture à Gaza à ce moment. Voici comment Israël a procédé : d’abord, ils ont bloqué la frontière pour s’assurer que la nourriture ne rentrerait pas; ensuite, ils ont attaqué, sachant que les Palestiniens ne pourraient tenir plus de dix jours. Tsahal a bombardé les dépôts de l’ONU pensant que sans nourriture, la population se retournerait contre le Hamas. Mais après le douzième jour de conflit, la résistance continuait et Israël arrêta de bombarder les silos de l’ONU. Je pense que dans le futur, le Hamas ne laissera plus la nourriture brûler à nouveau sous les bombes israéliennes. C’est pourquoi ils veulent assurer eux-mêmes la distribution de l’aide.
Pourquoi le Hamas continue-t-il à envoyer des roquettes étant donné qu’Israël use de cet argument pour sa propagande de guerre et que cela conduit à la répression de la population palestinienne ? Les « Qassam » sont-ils utiles ?
Mohamed Hassan. Pour un rat, l’animal le plus dangereux est le chat. Il se fout du lion ou de l’hippopotame. Et pour le chat, la nourriture la plus délicieuse est le rat. La logique des Qassam se situe à ce niveau. Les Qassam sont une violation de l’embargo et un signe de refus de la concentration des Palestiniens qui vivent dans un ghetto. C’est un message qu’envoie un peuple opprimé : « Nous sommes toujours vivants et nous continuerons la résistance ». C’est aussi un message lancé aux citoyens israéliens qui croient que leur armée et leur gouvernement peuvent leur garantir leur sécurité. Mais après 60 ans, la sécurité de leur nation n’est toujours pas garantie. Beaucoup de citoyens fuient Israël pour cette raison et le gouvernement doit maintenant faire face à une crise démographique. C’est pourquoi les dirigeants israéliens ont fait une guerre pour écraser le Hamas. Et pour avoir assez de juifs et résoudre la crise démographique, ils sont même allés en chercher dans les montagnes du Pérou ! Ils ont converti des Indiens au judaïsme. Ensuite, ils les ont ramenés à la frontière israélienne, en première ligne face à l’ennemi. Ces Indiens ont reçu des maisons et des fusils. Voilà les nouveaux colons. Le fait est que n’importe qui peut vivre en Israël. Sauf les Palestiniens !
mercredi 25 février 2009
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