1- Perspective
4° trimestre 2009 - Début de la phase 5 de la
crise systémique globale : la phase de
dislocation géopolitique mondiale
Depuis Février 2006, LEAP/E2020 avait estimé que la crise systémique globale se déroulerait selon 4
grandes phases structurantes, à savoir les phases de déclenchement, d'accélération, d'impact et de
décantation. Ce processus a bien décrit les évènements jusqu'à aujourd'hui. Mais notre équipe estime
dorénavant que l'incapacité des dirigeants mondiaux à prendre la mesure de la crise, caractérisée
notamment par leur acharnement depuis plus d'un an à en traiter les conséquences au lieu de
s'attaquer radicalement à ses causes, va faire entrer la crise systémique globale dans une cinquième
phase à partir du 4° trimestre 2009 : la phase dite de dislocation géopolitique mondiale.
Selon LEAP/E2020, cette nouvelle phase de la crise sera ainsi façonnée par deux phénomènes majeurs
organisant les évènements en deux séquences parallèles, à savoir :
A. Deux phénomènes majeurs :
1. La disparition du socle financier (Dollars + Dettes) sur l'ensemble de la planète
2. La fragmentation accélérée des intérêts des principaux acteurs du système global et
des grands ensembles mondiaux
B. Deux séquences parallèles :
1. La décomposition rapide de l'ensemble du système international actuel
2. La dislocation stratégique de grands acteurs globaux.
Nous avions espéré que la phase de décantation permettrait aux dirigeants du monde entier de tirer
les conséquences de l'effondrement du système qui organise la planète depuis la fin de la Seconde
Guerre Mondiale. Hélas, à ce stade, il n'est plus vraiment permis d'être optimiste en la matière1. Aux
Etats-Unis comme en Europe, en Chine ou au Japon, les dirigeants persistent à faire comme si le
système global en question était seulement victime d'une panne passagère et qu'il suffisait d'y ajouter
quantité de carburants (liquidités) et autres ingrédients (baisse de taux, achats d'actifs toxiques, plans
de relance des industries en quasi-faillite,…) pour faire repartir la machine. Or, et c'est bien le sens du
terme de « crise systémique globale » créé par LEAP/E2020 dès Février 2006, le système global est
désormais hors d'usage. Il faut en reconstruire un nouveau au lieu de s'acharner à sauver ce qui ne
peut plus l'être.
L'Histoire n'étant pas particulièrement patiente, cette cinquième phase de la crise va donc entamer ce
processus de reconstruction mais de manière brutale, par la dislocation complète du système
préexistant. Et les deux séquences parallèles, décrites dans ce GEAB N°32, qui vont organiser les
évènements promettent d'être particulièrement tragiques pour plusieurs grands acteurs mondiaux.
Selon LEAP/E2020, il ne reste plus qu'une toute petite fenêtre de tir pour tenter d'éviter le pire, à
savoir les quatre mois à venir, d'ici l'été 2009. Très concrètement, le Sommet du G20 d'Avril 2009
constitue selon notre équipe la dernière chance pour réorienter de manière constructive les forces en
action, c'est-à-dire avant que la séquence cessation de paiement du Royaume-uni, puis des Etats-Unis
ne se mette en branle2. Faute de quoi, ils perdront tout contrôle sur les évènements3, y compris, pour
nombre d'entre eux, dans leurs propres pays, tandis que la planète entrera dans cette phase de
dislocation géopolitique à la manière d'un « bateau ivre ». A l'issue de cette phase de dislocation
géopolitique, le monde risque de ressembler à l'Europe de 1913 plus qu'à la planète de 2007.
Ainsi, à force de tenter de porter sur leurs épaules le poids toujours croissant de la crise en cours, la
plupart des Etats concernés, y compris les plus puissants, ne se sont pas rendu compte qu'ils étaient
en train d'organiser leur propre écrasement sous le poids de l'Histoire, oubliant qu'ils n'étaient que des
constructions humaines, ne survivant que parce que l'intérêt du plus grand nombre s'y retrouvait.
Dans ce numéro 32 du GEAB, LEAP/E2020 a donc choisi d'anticiper les conséquences de cette phase
de dislocation géopolitique sur les Etats-Unis et l'UE.
Il est donc temps pour les personnes comme pour les acteurs socio-économiques de se préparer à
affronter une période très difficile qui va voir des pans entiers de nos sociétés telles qu'on les connaît
être fortement affectés4, voire tout simplement disparaître provisoirement ou même dans certains cas
durablement. Ainsi, la rupture du système monétaire mondial au cours de l'été 2009 va non seulement
entraîner un effondrement du Dollar US (et de la valeur de tous les actifs libellés en USD), mais il va
aussi induire par contagion psychologique une perte de confiance généralisée dans les monnaies
fiduciaires. C'est à tout cela que s'attachent les recommandations de ce GEAB N°32.
Last but not least, notre équipe considère désormais que ce sont les entités politiques5 les plus
monolithiques, les plus « impériales », qui vont être les plus gravement bouleversées au cours de
cette cinquième phase de la crise. La dislocation géopolitique va ainsi s'appliquer à des états qui vont
connaître une véritable dislocation stratégique remettant en cause leur intégrité territoriale et
l'ensemble de leurs zones d'influences dans le monde. D'autres états, en conséquence, seront projetés
brutalement hors de situations protégées pour plonger dans des chaos régionaux.
2- Télescope
Caractéristiques et conséquences de la phase
de dislocation géopolitique mondiale
Trois ans après notre annonce du début de la phase de déclenchement de la crise systémique globale,
il faut se rendre à l'évidence : les dirigeants du monde entier ont désormais bien compris qu'ils étaient
face à une crise globale, mais ils n'ont toujours pas tiré les conséquences de sa nature systémique
(s’ils l'ont même identifiée comme telle). Pourtant cet aspect systémique se caractérise par deux
phénomènes qui affectent fondamentalement le tissu même de l'organisation mondiale de ces
dernières décennies. D'une part, on assiste à la disparition du socle sur lequel s'est fondée cette
organisation mondiale depuis au moins trente ans, à savoir un socle composé d'un mélange de Dollars
US et de dettes américaines, britanniques et plus généralement occidentales. D'autre part, les intérêts
des principaux acteurs du système global ont entrepris de diverger à vitesse accélérée quoi qu'en
disent les communiqués des G7, G20 et autres instances internationales.
Ces deux phénomènes structurants, ou plutôt en l'occurrence « déstructurants », sont en train de
donner naissance à deux séquences parallèles d'évènements qui vont entraîner, à partir du quatrième
trimestre, l'entrée de la planète dans la cinquième phase de la crise systémique globale, à savoir la
phase de dislocation géopolitique mondiale. Ces deux séquences parallèles, mais non nécessairement
synchrones6, se présentent d'une part comme une séquence de décomposition rapide de l'ensemble
du système international actuel, liée à l'impuissance croissante des principales institutions
internationales, des principales places internationales mondiales, à continuer à jouer leur rôle
efficacement, voire à le jouer tout court. Et, d'autre part, se met en place une séquence de dislocation
stratégique qui va affecter directement de grands acteurs globaux comme les Etats-Unis, la Chine, la
Russie et l'UE7. Certains de ces acteurs vont voir remis en cause leur intégrité territoriale et leur tissu
socio-économique comme la structure même de leur pouvoir politique et de leur influence dans le
monde.
Seule une action audacieuse et imaginative du prochain sommet du G20 peut désormais éviter que la
planète ne s'engage irrémédiablement dans la phase 5 de la crise8. Mais, à ce stade, examinons plus
en détail les deux phénomènes et les deux séquences qui caractérisent cette phase de dislocation
géopolitique mondiale.
A. Les deux phénomènes majeurs au coeur de la phase de dislocation géopolitique
mondiale
1. La disparition du socle financier (Dollars + Dettes) sur l'ensemble de la planète
L'insolvabilité globale qui caractérise désormais le système financier mondial peut être représentée par
une image très simple : le socle financier sur lequel reposaient depuis des décennies les banques,
assurances et autres établissements financiers mondiaux, est en train de s'effondrer, à l'image d'une
ville qui serait construite sur une immense anfractuosité et qui découvrirait soudain que ce qu'elle
croyait être un sol solide, destiné à porter durablement les fondations des immeubles de la cité, n'est
en fait qu'une mince croûte de terre sous laquelle se trouve un mélange de vide, de gaz toxique et de
remblais instables. L'équivalent financier de ce mélange est bien entendu la combinaison hautement
volatile de Dollars US, d'actifs libellés en Dollars et de dettes produites en particulier par les Etats-
Unis, le Royaume-Uni et nombre d'économies occidentales et en développement9.
Actuellement ce phénomène n'est absolument pas traité par les différentes mesures de lutte contre la
crise prises dans le monde entier. Les dirigeants américains, européens, japonais ou chinois se
bornent à injecter massivement de nouvelles liquidités sous formes de Dollars, d'Euros, de Yens ou de
Yuans, tout en essayant de substituer les dettes publiques aux dettes privées toxiques, comme si
ajouter du gaz et échanger des remblais très instables contre des remblais instables pouvait éviter
l'effondrement de la cité. Car l'injection de ces immenses quantités de liquidités - notamment aux
Etats-Unis où les montants commencent à défier l'imagination (on s'approche des 10.000 milliards
USD en un an), ne font que rendre le gaz encore plus ténu en diluant toujours plus la valeur de la
monnaie ; et parallèlement l'accroissement exponentiel des dettes publiques est en train de rendre au
moins les actifs publics (Bons du trésor en particulier) aussi toxiques que les mauvais actifs privés
qu'ils sont censés remplacer.
Toujours est-il que la conséquence de ce phénomène entraîne une accélération du processus de
dislocation du socle sur lequel repose notre monde depuis des décennies, en particulier depuis plus
d'une vingtaine d'années.
Plus les pays ou régions du monde sont dépendants du Dollar US10 (et/ou des actifs libellés en Dollars
US) et de l'endettement de leurs acteurs économiques (ménages, entreprises, collectivités locales,
états), plus le tissu même de leur société va se disloquer à partir du 4° trimestre 2009 ; ou plus
exactement, plus cette dislocation deviendra évidente et s'accélèrera car en fait elle est déjà bien
entamée dans de nombreux cas comme nous le verrons en examinant les grands acteurs globaux
dans une autre partie de ce GEAB N°32.
Les symptômes sont aisés à identifier : bilans de plus en plus déséquilibrés, actifs en dévalorisation
continue, déficits publics en croissance exponentielle, arrêt des services publics, incapacité croissante
à faire face aux échéances financières de toute nature, multiplication des faillites d'entreprise, perte
de confiance dans les monnaies fiduciaires, … 11. En paraphrasant Jean de La Fontaine dans sa fable
« Les animaux malades de la peste », on pourrait dire qu'« ils n'en mourraient pas tous, mais tous
étaient frappés »12. En effet, si les Etats-Unis et le Royaume-Uni sont sans aucun doute pour
LEAP/E2020 les victimes les plus gravement atteintes, il est évident que le reste de la planète va
également subir de brutales conséquences de l'effondrement du socle financier de ces dernières
décennies13.
Comme indiqué dans le GEAB N°31, nous estimons désormais à 30.000 milliards USD le montant des
« actifs-fantômes » qui se sont envolés en fumée depuis 2006. A ce jour, à peine un tiers de
l'ensemble a dû être pris en compte, soit sous forme de dépréciations d'actifs, soit sous forme
d'injection de liquidités publiques destinées à se substituer aux « actifs-fantômes privés ».
Contrairement à ce que pensent les dirigeants14, cette dernière action consiste uniquement à créer
des actifs-fantômes publics en lieu et place des privés15. Au rythme où vont les choses, le Président et
le Congrès des Etats-Unis16 feraient mieux de faire appel aux trois héros du film « SOS Fantômes »
pour trouver une solution aux problèmes des actifs fantômes que de se reposer sur les compétences
déjà bien questionnables du trio composé par le président de la Fed Ben Bernanke, le nouveau
secrétaire d'Etat US au Trésor Timothy Geithner et le chef des conseillers économiques de la Maison
Blanche Lawrence Summers17.
Ce phénomène de disparition du socle financier global va avoir pour conséquences, dès la fin 2009,
une accélération de la réduction de la puissance, de la richesse, de l'influence et du niveau de vie de
nombreux acteurs géopolitiques majeurs, mais à des vitesses et dans des proportions différentes. Le
monde va rétrécir fortement, mais pas de manière égale pour tous. Cette évolution sera l'une
composantes majeures de cette phase de dislocation géopolitique mondiale, une sorte de
redistribution brutale des cartes à l'échelle mondiale. D'ailleurs, comme on l'a déjà souligné, elle
concernera autant les grands acteurs économiques que les états ou régions du monde.
Une bonne illustration du phénomène est ainsi offerte par le graphique ci-dessous qui montre
comment les grandes banques mondiales se sont retrouvées « rétrécies » par la crise, et ce dans des
proportions différentes. Ainsi que nous l'avions indiqué dans les GEAB précédents, l'importance du
secteur financier dans l'économie d'un pays sera un facteur-clé de la gravité de la crise qui l'affectera.
Le tableau suivant dessine des tendances très claires en la matière.
2. La fragmentation accélérée des intérêts des principaux acteurs du système global et
des grands ensembles mondiaux
Le second phénomène déstructurant qui alimente la dislocation géopolitique mondiale est la
fragmentation accélérée des intérêts des principaux acteurs du système global et des grands
ensembles mondiaux. Tout le débat sur le risque de retour du protectionnisme est à la fois un indice
et une composante de ce phénomène. Le protectionnisme est bien de retour puisque le processus de
globalisation tel qu'on l'a connu ces deux dernières décennies est désormais arrêté. Les discours des
dirigeants politiques mondiaux sont pathétiques dans la mesure où ils persistent à répéter leur volonté
de s'opposer au retour du protectionnisme et à relancer le cycle de Doha de libéralisation du
commerce18 ; tandis que, dans les faits, ils font tout le contraire comme le prouvent le « Buy
American » d'Obama19, la dévaluation compétitive de la Livre Sterling de Brown, les aides à l'industrie
automobile française de Sarkozy, le plan de relance soigneusement ciblé « Allemagne » de Merkel ou
la plan de stimulation de la demande interne chinoise de Hu Jintao.
Les dirigeants mondiaux sont de plus en plus schizophrènes : leurs actes s'éloignent de plus en plus
de leurs discours. C'est d'ailleurs pour cette raison que LEAP/E2020 estime que la dernière fenêtre de
« tir » pour lancer une alternative crédible à la dislocation géopolitique mondiale se situe entre le
sommet du G20 du mois d'Avril prochain et l'été 2009. Au-delà de cette date, les évènements feront
que les dirigeants mondiaux ne prétendront même plus tenir un discours commun. Leur propre survie
politique, dans chacun de leurs pays, les condamnera à se concentrer sur les solutions d'urgence de
court et moyen terme. Il va y avoir une forte augmentation du taux de chômage parmi la myriade
d'experts internationaux qui ont été les chevilles ouvrières de la libéralisation du commerce mondial
de ces dernières décennies. Ceci dit, comme souvent les experts (au fond desquels sommeillent
finalement des êtres humains normaux), ils se reconvertiront en chantres du protectionnisme ou des
intégrations de blocs régionaux, sans trop se poser de dilemmes éthiques. On commence d'ailleurs à
le constater au détour des articles des grands médias financiers et politiques.
Cette fragmentation va prendre des formes relativement simples :
. les puissances exportatrices (Chine, Japon et Allemagne ainsi que l'UE en général) qui tentent
actuellement par tous les moyens de préserver leur accès aux marchés solvables vont devoir faire le
point au milieu de l'année 2009. Si leurs efforts leur paraissent vains ou trop incertains parce que le
commerce mondial est en chute libre20, elles n'auront d'autre choix que de se tourner vers leur
marché intérieur s'il est assez solvable21 ou bien elles devront très rapidement se tourner vers la
logique des blocs régionaux au détriment des accords et règles multilatérales. Ni l'OMC, ni l'ONU et
ses agences n'y pourront grand-chose dans la mesure où elles n'ont de pouvoir que si au moins une
partie importante de leurs membres est d'accord pour respecter les règles du jeu. Si au contraire,
leurs membres préfèrent ne plus respecter les règles, ces institutions sont condamnées à
l'impuissance22.
cette fragmentation, qui n'est en fait que la subsidiarité appliquée à la recherche de l'intérêt collectif,
- ou autrement dit, un sauve-qui-peut généralisé - risque de fonctionner selon une logique fractale.
Cela signifie que chaque Etat, et en son sein, quand elles ont une certaine existence politique, chaque
région, chaque province ou chaque Etat fédéré, va également être tenté de dresser un bilan rapide de
ses intérêts vitaux et du coût des règles du jeu auquel il obéit depuis des décennies. Les crises
d'ampleur historique comme cette crise systémique globale tendent en effet à remettre en cause les «
évidences » les mieux établies en matière d'intégrité territoriale ou de loyauté politique. Chaque
groupe constitué et doté de certains atouts, tend à se demander s'il ne s'en sortirait pas mieux tout
seul que dans une entité plus large. Nous examinerons plus loin l'impact de cette tendance sur les
Etats-Unis et l'UE.
Les premiers conflits entre « alliés » sont d'ailleurs en train de se dérouler sous nos yeux. Quand le
président français Nicolas Sarkozy dénonce publiquement comme inefficace la politique de son
homologue britannique23 ou remet en cause le grand-marché unique européen pour limiter les
délocalisations, on est déjà dans cette logique. Quand Gordon Brown et d'autres dirigeants
britanniques invoquent la primauté des travailleurs britanniques sur les autres nationalités (y compris
de l'UE), on est en pleine rupture de cohésion avec ses partenaires24. Quand des dirigeants chinois
dénoncent violemment leur manque actuel d'alternatives pour diversifier leurs actifs hors des Bons du
trésor US et du Dollar US, ou que seul le Yuan25 est montré du doigt lors du tout récent sommet
financier du G7 à Rome, on assiste là encore à cette fragmentation26. Quand l'administration du
président Barak Obama s'apprête à lancer de violentes offensives contre la Chine dans les domaines
des droits de l'homme, de l'énergie et du climat, sur fond de tensions commerciales croissantes,
indéniablement la fragmentation du jeu global est en cours d'accélération27. Quand le Premier Ministre
russe Vladimir Poutine accuse Washington et Londres d'être au coeur de la crise actuelle28, et que l'on
constate un assentiment silencieux de la part de la majorité des dirigeants européens29, à nouveau on
voit se préparer la fragmentation de demain. Quand Temasek, le fonds souverain de Singapour,
change brutalement de dirigeant pour réorienter ses investissements hors des institutions financières
britanniques ou américaines, on perçoit de même un renforcement de la fragmentation du système
actuel30.
Encore quelques mois à ce rythme, et les uns comme les autres ne s'embarrasseront plus de
convenances, et la dislocation géopolitique mondiale sera définitivement engagée.
Le FMI, dont LEAP/E2020 a décrit dans le GEAB il y a près de deux ans l'affaiblissement structurel,
n'est pas en mesure non plus d'avoir un impact significatif sur la crise. Dans le meilleur des cas, il peut
encore jouer le rôle de « voiture-bala i » et apporter son soutien d'urgence aux Etats sur le point de
faire faillite32. Cependant l'accroissement du nombre d'Etats concernés comme la taille de leurs
économies respectives va poser un problème de capacité. Pour l'instant, seul le Japon, avec 100
Milliards USD33, a répondu présent à l'appel de capitaux lancé par le FMI. Et il est probable qu'il n'y
aura pas beaucoup d'autres nouvelles contributions puisque les économies les plus riches sont
désormais en train de mobiliser toutes leurs ressources pour éviter elles-mêmes de sombrer dans la
dépression économique et sociale. Enfin, le FMI reste essentiellement le bras financier des Etats-Unis
et de leurs alliés occidentaux, doté d'une structure de décision qui ne correspond plus du tout aux
rapports de force financiers de notre planète en 2009. La plupart des pays pourvus des plus
importantes réserves financières mondiales y sont marginalisés ; autant dire qu'ils ne feront aucun
« cadeau » au FMI pour voir leur argent utilisé sans pouvoir en influencer réellement l’utilisation. On
constate ici combien il aurait fallu agir il y a au moins dix ans afin de réformer le FMI et d'adapter sa
structure décisionnelle au monde du début du XXI° siècle au lieu de la laisser figée dans le monde de
l'après-Seconde Guerre Mondiale. Maintenant il est trop tard pour de tels changements étant donnée
la rapidité de développement de la crise. C'est justement à éviter ce type d'impasses historiques que
sert l'anticipation politique.
Le G7 (ou G8) n'a jamais été qu'un club élitiste rassemblant autour des Etats-Unis les principales
économies occidentales afin de donner l'apparence d'une vague gestion collégiale du monde. Outre
que le monde en question (celui des dernières décennies) n'existe plus, le G7 n'a jamais été capable
de faire autre chose que d'être une chambre d'écho de la parole de Washington34. Aujourd'hui on peut
sans risque considérer que son utilité est proche du zéro absolu.
Enfin, on arrive au G20, le dernier né de la série, dont le mérite est enfin d'associer notamment les
puissances émergentes du XXI° siècle (Chine, Inde, Brésil,...) aux vieilles puissances du XX° siècle.
C'est pour l'instant son seul mérite car son premier sommet, tenu à Washington en Novembre 2008, a
surtout été caractérisé par un contenu de peu d'intérêt, n'abordant aucunement les questions au coeur
de la crise actuelle. LEAP/E2020 a déjà analysé cela plus en détail dans le GEAB N°29. Sa prochaine
réunion à Londres le 2 Avril prochain risque de décider de son avenir selon notre équipe. En effet, soit
il sort de cette réunion un plan d'action convaincant (et donc nécessairement audacieux) pour
permettre au monde de traverser la crise actuelle en posant les bases d'un nouveau système
international ; soit, après l'été 2009 et le début de la phase de dislocation géopolitique, le G20 n'aura
plus de sens puisque ses membres chercheront individuellement leurs saluts respectifs35. La grande
faiblesse du G20 actuel est qu'il reste fondamentalement dominé par des dirigeants issus du monde
qui est en train de s'effondrer sous nos yeux : près des deux-tiers d'entre eux appartiennent au bloc
occidental ou sont des dirigeants qui en dépendent pour rester au pouvoir. Cette situation n'est pas
vraiment propice au questionnement des fondements mêmes de cette crise qui touche au
fonctionnement du modèle occidental de ces dernières décennies.
b/ La chute des noeuds stratégiques du système financier et monétaire mondial
Le système qui s'écroule actuellement reposait notamment sur la puissance de quelques noeuds
stratégiques, soigneusement contrôlés par les puissances dominantes (au premier rang desquelles les
Etats-Unis bien entendu), qui permettaient de maîtriser les principaux flux et paramètres du système :
flux financiers et cours des devises en particulier. Or la crise systémique globale est en train de
provoquer la chute de ces noeuds stratégiques que sont Wall Street, la City londonienne ou la place
financière de Tokyo, ainsi que nombre de centres secondaires comme Hong-Kong, Singapour ou
Dubaï. Partout les banquiers et cadres d'établissements financiers sont licenciés par dizaines de
milliers. Les banques voient leurs bilans rétrécir à vue d'oeil comme l'illustre fort bien le graphique du
chapitre précédent. Et la crédibilité des experts et analystes qui servent tout ce petit monde tend
dangereusement vers le zéro comme le montre le cas des agences de notation36.
Désormais l'Union européenne (sous l'impulsion de la Chancelière allemande Angela Merkel), et
probablement bientôt la Chine, veulent se doter d'agences de notation à elles afin d'éviter de se faire
berner comme elles l'ont été dans la crise actuelle37. Or, qui perd le contrôle de l'évaluation perd la
capacité à cacher ses faiblesses, ses défauts et ses échecs. Ainsi LEAP/E2020 anticipe que la
diversification des sources de notation va entraîner un bouleversement majeur du système actuel.
Prenons un seul exemple : comment peut-on accorder la moindre crédibilité à des agences de
notation qui s'empressent de baisser la note de pays comme l'Espagne ou la Grèce du fait des
contraintes que la crise fait peser sur leur solvabilité, alors que le Royaume-Uni et les Etats-Unis qui
sombrent sous l'endettement et voient leurs économies dévastées ne sont soumis à aucune révision
de notation38 ? L'apparition d'agences de notations non américaines remettra brutalement les
pendules à l'heure et les notations avec39.
Pour ce qui est du système monétaire mondial, on se trouve dans une situation un peu équivalente :
près de 70% des marchés des devises sont traités sur trois places financières, à savoir Londres, New-
York et Tokyo. Toutes les trois appartiennent de facto à la zone Dollar et ont des dirigeants qui
dépendent étroitement de Washington, ce qui assure que leurs interprétations des évènements et des
mouvements du monde sont fondamentalement similaires. L'actuel naufrage de l'économie
britannique et sa place financière met en péril le rôle prédominant de Londres. Parallèlement alors que
huit des dix principales banques du marché international des devises étaient américaines ou
britanniques en Mai 2008, il est remarquable que certaines aient déjà disparu du paysage, comme
Lehman Brothers, ou soient en quasi-faillite (nationalisée) comme Royal Bank of Scotland ou Citi40. Là
encore on voit à quelle vitesse ce noeud stratégique du système financier mondial est en train de
chuter sous nos yeux, contribuant à une décomposition accélérée de l'ensemble du système
international de ces dernières décennies.
2. La dislocation stratégique de grands acteurs globaux
La dislocation géopolitique mondiale va également affecter directement les grands acteurs globaux
comme les Etats-Unis, la Chine, la Russie et l'UE par exemple. Les mêmes forces déstructurantes vont
s'appliquer sur ces vastes entités politiques. En fait, selon LEAP/E2020, plus l'entité politique est
importante en taille et en population, plus elle repose sur le socle « Dollar/Dettes » caractérisant le
système actuel ; et plus elle est centralisée, plus elle s'avérera sensible aux formidables tensions
générées par la crise systémique globale.
Si le second facteur est particulièrement évident (reposer sur le socle Dollars/Dettes), le premier
s'explique par l'existence d'une plus grande diversité de situations économique, sociale et financière
entre régions et/ou groupes sociaux dans les grandes entités politiques que dans les petits pays. C'est
donc la question de la cohésion socio-économique face aux conséquences de la crise.
Enfin, le troisième facteur, la centralisation du pouvoir et donc du mode d'analyse de la crise et de
mise en oeuvre des réponses à cette crise, correspond selon nos équipes à la problématique cruciale
de la pertinence des politiques mises en place. La crise prend des formes multiples et dans les
grandes entités politiques, l'enjeu pour la traverser au mieux risque justement de se situer au niveau
de l'adaptation fine des réponses aux situations. Le « même taille pour tous » n'est probablement pas
la méthode la plus efficace pour faire face à cette crise au sein des grandes entités politiques.
a/ Les Etats-Unis :
Pour les Etats-Unis, le processus de dislocation stratégique à partir de la fin 2009 est d'autant plus
d'actualité que c'est l'un des 4 thèmes d'un rapport présenté au Pentagone en Décembre 2008 par
Nathan P. Freier du Strategic Studies Institute de l’Army War College des Etats-Unis41. Il y décrit le
risque de dislocation du territoire des Etats-Unis et de ses frontières sous l'impact de la crise42. Pour
LEAP/E2020 ce scénario rejoint certaines de nos anticipations les plus récentes. En effet, si l'on
considère les trois facteurs essentiels évoqués précédemment, les Etats-Unis sont au coeur d'un
« perfect storm »43 en la matière :
. des quatre entités politiques considérées, ils sont bien évidemment ceux qui reposent intégralement
sur le socle « Dollar/Dettes ». C'est même ce qui a alimenté leur puissance et leur richesse ces
dernières décennies. Et aujourd'hui c'est tout leur système financier qui est devenu insolvable44
pendant que la création de Dollars s'emballe45.
. le tissu socio-économique du pays est infiniment plus diversifié que ne voudrait le faire croire une
vision idéalisée d'une Amérique uniforme d'Est en Ouest. Les tensions socio-ethniques sont immenses
avec dorénavant une forte composante hispanique liée aux narco-trafiquants qui gangrènent la
frontière sud du pays. Les intérêts économiques des différentes régions divergent de plus en plus face
à la crise : par exemple, les problèmes de la Californie en quasi-faillite ne sont pas du tout les mêmes
que ceux des Etats dont l'industrie automobile s'effondre ; et ils sont encore différents de ceux de la
Floride. Le Texas n'a pas les mêmes problèmes que New-York ; et ainsi de suite…
enfin, le quasi-monopole de Washington et de l'état fédéral dans la réponse à la crise impose
l'utilisation de dispositifs très centralisés, standardisés et donc incapables de prendre en compte les
situations très variables d'un Etat à l'autre. Ce simple fait porte déjà l'assurance d'une faible efficacité
des mesures mises en place, comme on le constate d'ailleurs depuis plus d'un an.
A ce stade il nous paraît utile de rappeler qu'en choisissant de s'inspirer d'Abraham Lincoln, le
nouveau président américain a pris un risque historique non négligeable car Lincoln, ce n'est pas que
la fin de l'esclavage : c'est aussi la Guerre de Sécession et le Greenback, cette monnaie créée par le
gouvernement sans contrepartie en or ou argent46, destinée à financer l'effort de la Guerre de
Sécession, et qui déclencha par la suite une très forte inflation aux Etats-Unis. Barak Obama devrait
se méfier de l'Histoire qui a tendance à être très ironique.
Toujours est-il que depuis la fin du XIX° siècle, les disparités entre Etats et groupes sociaux du pays
ont été essentiellement enfouis sous un tapis de Dollars, puis plus récemment de dettes, afin
d'anesthésier tout risque de conflit sérieux entre Etats ou entre certains Etats et Washington. Le
succès de cette politique fait d'ailleurs qu'aujourd'hui peu d'Américains, et pratiquement personne au
sein de leurs élites politiques, n'a conscience que leur vaste pays est loin d'être un « don de Dieu »,
mais qu'il est bien une création de la conquête militaire et de l'afflux de richesse. Il suffit que cette
dernière vienne à manquer pour les aspects les plus conflictuels reviennent vite au premier plan. Il est
d'ailleurs symptomatique de constater que nombre d'Etats commencent à légiférer dans différentes
directions pour empêcher Washington de les priver de telle ou telle prérogative47 ; quand ce ne sont
pas tout simplement les collectivités locales (les comtés) qui menacent de ne plus faire remonter
l'argent des impôts devant la carence d'Etats fédérés en faillite, comme par exemple en Californie.
Selon LEAP/E2020 le plan de relance que le Congrès américain vient d'adopter est un cautère sur une
jambe de bois48. C'est trop peu, trop dispersé, et surtout cela ne prend pas la mesure de la crise. Que
sont les 2 ou 3 millions d'emplois censés être créés en deux ans quand c'est le chiffre des nouveaux
chômeurs des cinq prochains mois49.
Ce plan a en revanche démontré le fort clivage partisan qui règne toujours à Washington50 tandis
qu'un seul pouvoir semble désormais flotter au-dessus des processus démocratiques : la machine
militaire. Il est en effet plus qu'étonnant que, du Ministre de la Défense aux principaux généraux,
aucun responsable de l'appareil de défense US n'a changé alors qu'une des motivations des électeurs
de Barak Obama était justement de renverser la logique militaire des années Bush. Les politiciens
changent mais les militaires restent et leurs chefs politiques aussi. C'est peut-être un signe qu'un
certain nombre de responsables américains ont une certaine conscience que bientôt l'armée sera le
dernier garant de l'intégrité territoriale du pays. La thèse de Nathan P. Freierne ne suggère d’ailleurs
rien d’autre. Devant l'incapacité des politiques à imaginer un scénario de dislocation du pays, il faut
bien que les militaires commencent à s'y préparer. Pour LEAP/E2020, il n'est nul besoin de disserter
sur les conséquences d'une telle évolution qui marquera l'effondrement de l'ensemble du système
stratégique occidental, actuellement intégralement centré sur la puissance militaire des Etats-Unis.
b/ L'Union européenne :
Si les Etats-Unis représentent l' « impensable dislocation stratégique », l'Union européenne, et en
particulier la zone Euro, constitue la « très pensée dislocation stratégique ». Il ne se passe pas une
journée sans qu'un média anglais ou américain ne délivre son pronostic sur l'effondrement prochain
de l'UE et/ou de l'Euro sous les coups de la crise51.
Tout y passe. Les élucubrations protectionnistes et agressives de Nicolas Sarkozy52. Les réparties
cinglantes du premier ministre tchèque Topolanek. Les atermoiement insipides d'Angela Merkel53. Les
appelations « chocs », comme la désignation de « Club Med » des pays méditerranéens de la zone
Euro. Les scoops qui n'en sont pas sur l'exposition faramineuse des banques européennes au risque
de cessation de paiement des pays d'Europe centrale et orientale54. Et bien entendu la traque sans fin
du moindre politicien, du moindre « expert » européen qui apporterait de l'eau à leur moulin. Avec 27
pays et 500 millions de citoyens, il est assez aisé de trouver toutes les opinions et leur contraire.
Prenons par exemple le temps de traiter le fond de l'affirmation selon laquelle les banques
européennes seraient plus exposées que les banques américaines à des centaines de milliards d'actifs
toxiques notamment d'Europe de l'Est. Cette affirmation est emblématique d'une pensée qui n'a
toujours pas compris la nature de la crise actuelle. En effet, même si cela était vrai en terme
d'exposition (hors c'est loin d'être prouvé à part pour les banques autrichiennes), il faut prendre
conscience qu'aujourd'hui sur notre planète, il n'y a rien de plus toxique qu'un actif financier
américain55. Si on prend le cas de l'immobilier (qui est le cas principal en Europe de l'Est), la situation
est très claire :
. en Europe centrale et orientale, après cinquante ans de non investissement communiste, le besoin
en matière immobilière est immense (autant pour des logements que des locaux commerciaux). Donc,
même si les prix ont été surévalués ces dernières années, les biens ont une valeur réelle et trouveront
sans problème des acquéreurs avec une décote raisonnable. Donc les banques détiennent avec ces
biens des actifs qui ont une valeur substantielle.
. aux Etats-Unis, la frénésie immobilière de ces dernières années a conduit à construire des millions de
logements et de locaux commerciaux tout simplement inutiles56, souvent construits à la va-vite, et de
piètre qualité. Avec un logement sur neuf désormais vide57, les banques détiennent des actifs qui ne
valent de facto plus rien du tout ; et qui vont se détériorer au fur et à mesure que le temps passera
C'est difficile à appréhender pour des journalistes de la City ou de Wall Street, mais une maison en
Roumanie ou en Hongrie est un actif qui a de fait une valeur beaucoup plus grande qu'une maison à
San Diego, Détroit ou Miami. Ce petit rappel étant fait, il permet de revenir à la question de la
dislocation stratégique de l'UE ou de la zone Euro.
Pour LEAP/E2020, il est certain que la phase 5 de cette crise risque de créer une Europe à deux
vitesses, et certainement à deux types d'institutions : la zone Euro d'un côté et les autres membres de
l'UE de l'autre. Cependant ce phénomène n'est rien d'autre que la dernière version du processus
historique d'intégration européenne. Cela fait bientôt 60 ans que les Européens avancent ainsi.
L'autre caractéristique de l'UE qui paradoxalement la rend moins sensible aux forces déstructurantes,
c'est que justement tout le monde craint cette éventualité et donc tout le monde en discute, faisant
émerger un tas de solutions possibles, inenvisageables aujourd'hui et susceptibles de s'imposer
d'évidence demain58. Là encore les Européens sont coutumiers du fait.
Si l'on considère les trois facteurs clés de la phase de dislocation, on constate ainsi :
. que l'UE est beaucoup moins dépendante du socle « Dollar/Dette » que les Etats-Unis par exemple.
Seuls certains Etats membres comme le Royaume-Uni en particulier, et quelques autres identifiés dans
les GEAB précédents, sont très sensibles à ce facteur. Mais le coeur de la zone Euro n'est que très peu
affecté.
. que l'UE, et surtout la zone Euro, est en effet très sensible au facteur de grande diversité de ses
composantes. Si les Etats européens étaient aussi peu indépendants que les Etats fédérés américains,
ce serait l'assurance d'une explosion généralisée de l'UE.
. mais, et c'est là un point-clé : le fonctionnement de l'UE est extrêmement polycentrique, et non pas
centralisé. Les Etats ont d'immense marge de manoeuvre. La BCE fournit un cadre monétaire
cohérent. Les fonds structurels européens assurent une cohésion de long terme. Et ce système
polycentrique sait, il l'a montré depuis plus de 50 ans, se montrer imaginatif quand la situation l'exige,
notamment car il se sait fragile et une pure création de la volonté de ses peuples et de ses dirigeants.
Et l'Allemagne, poids lourd de la zone Euro et de l'UE, fera tout pour empêcher que l'Union
européenne et la zone Euro cessent d’être les débouchés privilégiés de son industrie, au moment où
ses marchés mondiaux s'effondrent ou risquent de se fermer.
Pour conclure, si on ajoute l'impact de la phase de dislocation sur la Russie et la Chine, il va être très
intéressant de savoir si cette crise systémique globale va voir survivre le nouveau modèle d'intégration
régionale de type UE, ou au contraire renforcer le modèle impérial de type Etats-Unis, Chine et Russie.
Pour notre équipe, en fonction des facteurs identifiés précédemment, cette crise systémique globale
pourrait bien être le dernier avatar des crises qui depuis cent ans se succèdent en faisant tomber les
empires les uns après les autres. Simple question d'adaptation à l'environnement socio-économique
du siècle à venir ! Sans oublier la crise climatique comme l'illustrent les cartes ci-dessus.
3- Focus
Recommandations : Comment se préparer à
la phase de dislocation géopolitique ?
Ainsi que nous venons de l'anticiper dans ce GEAB N°32, la phase 5 de la crise systémique globale
affectera de manières diverse les différents pays et même, au sein d'une même entité politique, ses
différentes régions. Cependant, il est possible d'élaborer un certain nombre de recommandations
générales destinées à éviter de se retrouver piégé au beau milieu du processus de dislocation
géopolitique mondial. Pour cela il est important d'évaluer 3 facteurs majeurs qui déterminent la
gravité de la dislocation socio-économique et politique de votre pays ou région.
Selon LEAP/E2020, ces trois facteurs sont:
1. Le degré de dangerosité physique directe de la dislocation géopolitique dans votre
pays/région
2. Le degré de dépendance de votre région/localité vis-à-vis d'approvisionnements extérieurs
3. La durée probable d'éventuelle dislocation des principaux services publics et/ou privés
1. Le degré de dangerosité physique de la dislocation géopolitique dans votre pays/région
Si votre pays ou région est une zone où circulent massivement des armes à feu (parmi les grands
pays, seuls les Etats-Unis sont dans ce cas), alors, le meilleur moyen de faire face à la dislocation
stratégique est de quitter votre région ou votre pays si cela vous est possible, pour vous installer dans
une région ou un pays moins dangereux physiquement. En effet, la dislocation stratégique entraînera
des ruptures de services (nourriture, eau, santé,…) qui risquent de provoquer des affrontements
meurtriers si les gens sont armés. LEAP/E2020 a ainsi eu directement connaissance de citoyens
américains ayant quitté des états dont la population est fortement adepte du port d'arme pour partir
s'installer dans des états où le port d'arme est marginal ou interdit. Notre équipe a pu aussi constater
l'arrivée en Europe de citoyens américains plus aisés quittant tout simplement les Etats-Unis devant
les risques de dislocation du pays pour venir s'installer dans la zone Euro. Ces phénomènes sont
récents, moins de deux mois pour ceux qu'a pu constater LEAP/E2020, mais ils indiquent une
tendance plutôt raisonnable. S'il n'y a pas d'armes en circulation en quantités significatives, la
dangerosité physique directe de la dislocation restera marginale.
2. Le degré de dépendance de votre région/localité vis-à-vis d'approvisionnements
extérieurs
Si votre pays/région est particulièrement dépendant de l'extérieur pour son alimentation en énergie,
nourriture, eau,… alors il est essentiel de faire des réserves ou bien de penser à partir s'installer dans
une région moins dépendante. En effet, le développement de la dislocation stratégique d'un pays
entraîne tout naturellement la rupture de nombreux services et fragilise d'autant plus les
communautés éloignées des grands centres ou des lieux de production.
3. La durée probable d'éventuelle dislocation des principaux services publics et/ou privés
Dans de nombreux pays ou régions, la dislocation des services publics sera passagère - de l'ordre de
quelques jours à quelques semaines. En s'y préparant bien et en s'appuyant sur les liens de voisinage
ou familiaux, cette période sera aisément surmontée. En revanche si vous estimez que dans votre
pays ou région, la dislocation risque de se greffer sur un effondrement du pouvoir central, ou au
moins du pouvoir régional, alors il est essentiel soit de se préparer à quitter provisoirement votre
région, soit à organiser une alternative collective d'ampleur avec les membres de votre communauté.
Financièrement, l'entrée dans la phase 5 de la crise systémique globale sera caractérisée non
seulement par un effondrement du Dollar US et des monnaies affiliées, mais aussi par une crainte
généralisée devant toutes les monnaies fiduciaires. Le manque de confiance est en effet très
contagieux. Donc, même si vous habitez en zone Euro, Yen ou Yuan59, il est important de conserver
au moins 30% de vos avoirs en métaux précieux (or, argent, platine,…) ou tout autre actif non
monétaire facilement échangeable. Nous parlons ici d'avoirs physiques et non pas sous forme de
certificats. Très important : éviter de les laisser dans une banque car c'est justement le type
d'établissements qui peut se retrouver fermé durablement lors d'un processus de dislocation
stratégique.
Pour les entreprises, il est également essentiel de garder une quantité importante de devises hors des
banques pour pouvoir au moins régler les salaires en cas de fermeture du système bancaire.
Enfin, évitez plus que jamais l'ensemble des instruments financiers proposés par les banques. Outre le
risque de les voir bloqués lors de la phase 5 de la crise, les baisses continues de taux d'intérêts par les
banques centrales constituent une mise en coupe réglée des épargnants. Restez liquide au maximum
pour pouvoir bouger immédiatement si nécessaire.
1 Barak Obama comme Nicolas Sarkozy ou Gordon Brown passent leur temps à invoquer la dimension historique de la crise pour
mieux cacher leur incompréhension de sa nature et tenter de se dédouaner à l'avance de l'échec de leurs politiques. Quant aux
autres, ils préfèrent se persuader que tout cela se règlera comme un problème technique un peu plus grave que d'habitude. Et
tout ce petit monde continue à jouer selon les règles qu'ils connaissent depuis des décennies, sans se rendre compte que le jeu
est en train de disparaître sous leurs yeux.
2 Voir GEAB précédents.
3 En fait il est même probable que le G20 aura des difficultés croissantes à tout simplement pouvoir se réunir, sur fond de
« chacun pour soi ».
4 Source : New York Times, 14/02/2009
5 Et cela nous paraît vrai également pour les entreprises.
6 Elles se dérouleront probablement à des vitesses différentes.
7 D'autres entités politiques et économiques (comme certaines grandes multinationales) seront également affectées par cette
séquence, mais dans ce GEAB N°32 nous avons choisi de nous limiter aux cas des Etats-Unis et de l'UE.
8 Et soyons sans grande illusion en la matière, à l'image des 85% d'Européens qui sont convaincus que ce prochain sommet ne
résoudra rien. Source : GlobalEuromètre, 02/2009.
9 Le cas de Dubaï est parfaitement adapté à l'image de la ville construite sur un sol meuble (en l'occurrence on pourrait dire sur
du sable) puisque l'émirat assiste actuellement à un effondrement général de tous les investissements immobiliers mirifiques de
ces dernières années. Source : Khaleej Times, 02/02/2009
10 La Livre Sterling n'étant qu'une annexe de la zone Dollar.
11 Comme toujours les plus fragiles sont les premiers à en pâtir comme l'illustre l'Ukraine qui s'enfonce dans une spirale
dépressionniste très grave. Les « parrains » occidentaux de la Révolution orange sont en effet à court de capitaux. Source :
Financial Times, 08/02/2009
12 Pour découvrir ou relire cette fable étonnamment d'actualité : Les animaux malades de la peste.
13 C'est d'ailleurs pour cela que dès Février 2006, LEAP/E2020 a donné le nom de « crise systémique globale » à la crise en
cours.
14 CNN se fait l'écho d'expériences scientifiques très intéressantes qui tentent d'expliquer pourquoi dans un groupe les gens
tendent à penser de la même manière. Ces découvertes semblent s'appliquer pleinement aux G7, G8 ou G20 et nous indiquent
hélas qu'il va être très difficile de voir émerger une pensée originale et audacieuse de ces assemblées. Source : CNN,
15/01/2009
15 D'ailleurs les acheteurs de bons du trésor ne s'y trompent plus. Source: Telegraph, 08/02/2009
16 Les pays pétroliers du Golfe persique pourraient également faire de même, qui ont déjà perdu 2.500 Milliards USD dans la
crise. Source : BBC, 17/01/2009
17 On pourrait tout aussi bien ajouter à cette liste, mais bien entendu en position d'acteurs secondaires : Mervyn King, Gordon
Brown et Alistair Darling, ainsi que les responsables de l'ensemble des pays dont les économies sont fortement dépendantes de
la zone Dollar ou qui ont massivement investi dans des actifs libellés en Dollars. Voir à ce sujet les GEAB précédents.
18 Il est instructif de constater comment les pays les plus faibles impliqués dans la globalisation sont déjà en train de payer le
prix fort de l'effondrement du processus. C'est ainsi le cas des Philippines actuellement. Source : Asia Times, 13/02/2009
19 Source : RTE, 03/02/2009
20 Source : MarketOracle, 15/01/2009
21 C'est-à-dire notamment, s'il est assez vaste pour absorber une partie significative de leurs exportations. A part l'UE et la
Chine (et encore seulement en partie), ce n'est le cas d'aucune autre grande puissance exportatrice.
22 Ainsi le FMI est en train de quémander des fonds, sans trop de succès, pour pouvoir se préparer à jouer son rôle du fait de
l'aggravation de la crise. Le chacun pour soi commence bien là. Source : Telegraph, 08/02/2009
23 Source : Le Matin, 06/02/2009
24 Source : Times, 12/02/2009
25 Ce qui est quand même le comble de la malhonnêteté puisque le Dollar est le principal responsable du désordre monétaire
actuel.
26 Certains de ces dirigeants se sont d'ailleurs exprimés très violemment puisqu'ils évoquent leur haine des Etats-Unis pour les
avoir placer dans cette situation dramatique d'être « coincés » avec des actifs condamnés à se déprécier. Quand un partenaire
est dans cet état d'esprit, il ne restera pas un partenaire constructif très longtemps. Source : Financial Times, 11/02/2009
27 Source : International Herald Tribune, 11/02/2009
28 Source : Australian Business / Wall Street Journal, 29/01/2009
29 Ainsi actuellement les dirigeants européens se gardent bien de tout commentaire sur le taux de change Euro/Dollar, car ils
sont trop inquiets du risque d'une chute brutale de la devise américaine qui entraînerait l'Euro vers des sommets incompatibles
avec l'intérêt économique de la zone Euro. Source : MarketWatch, 09/02/2009
30 Source : Telegraph, 06/02/2009
31 Siège de l'OCDE, à Paris.
32 C'est ce qu'il a fait ces derniers mois avec le Pakistan, l'Ukraine, la Hongrie, l'Islande, le Belarus et la Lettonie (source : FMI ).
Et bientôt probablement la Turquie, le Mexique, les Philippines, la Thaïlande, l'Argentine, le Royaume-Uni, … Mais là, les
sommes en jeu dépassent largement les fonds dont dispose le FMI. Sans compter que les remèdes du FMI ne sont pas
forcément les plus adaptés comme le prouvent les difficultés de négociation avec la Turquie ou les problèmes de mise en oeuvre
avec l'Ukraine. Sources : Asia Times, 06/02/2009 ; BBC, 10/02/2009
33 Source : FMI, 13/02/2009
34 L'addition de la Russie pour en faire un G8 n'a rien changé à l'affaire si ce n'est confirmer qu'il s'agissait d'un club de
puissances « blanches « avec les Japonais en plus.
35 Voir chapitres précédents de ce numéro du GEAB.
36 Ainsi les trois principales agences de notation, à savoir Moody's, Fitch et Standard & Poor's, sont toutes américaines. Source :
Wikipedia.
37 Source : Financial Times, 10/06/2008
38 Autre exemple éloquent : la Californie, le plus riche et le plus peuplé des Etats américains est plongé dans une telle crise
financière que depuis début Février les fonctionnaires de l'Etat doivent cesser de travailler un jour par semaine faute d'argent
pour les payer (source : Los Angeles Times, 06/02/2009). Les agences de notation en ont-elles tiré des conséquences sur le
crédit des Etats-Unis ? Pas du tout ! Alors qu'on imagine très bien leur réaction si l'Allemagne (état le plus riche et le plus
peuplé de l'UE) avait annoncé ce type de situation : ces mêmes agences en auraient déduit la faillite imminente de toute
l'Eurozone !
39 Nous rappelons que le Vendredi qui a précédé la faillite de Lehman Brothers, ces mêmes agences continuaient à donner les
meilleures notes à nombre de produits financiers de cette banque. Le Lundi suivant ces mêmes produits ne valaient plus rien.
Pour LEAP/E2020 les notations de ces trois agences n'expriment rien d'autre que les intérêts des puissances qui les encadrent.
Ceux qui s'en servent pour estimer leur stratégie d'investissement devraient donc se méfier au plus haut point des mauvaises
surprises à venir.
40 Source : Wikipedia
41 Source : Strategic Studies Institute, 04/11/2008
42 La frontière avec le Mexique est en train de devenir un champ de bataille du trafique de drogue. Sources : Armed Forces
Journal, 01/2009 ; Spacewar, 05/06/2008
43 Orage parfait
44 Source : International Herald Tribune, 13/02/2009
45 Ce sont désormais plus de 1 000 banques américaines qui vont faire faillite d'ici 2014. Source : MarketWatch, 09/02/2009
46 Le Dollar « normal » a lui continué à être émis par la banque centrale des Etats-Unis.
47 Sources : WorldNetDaily, 06/02/2009 ; Sacramento Bee, 05/02/2009 ; AJC, 06/02/2009
48 Source : International Herald Tribune, 09/02/2009
49 Et le nouveau TARP, proposé par le Timothy Geithner, constitue à nouveau de l’argent jeté dans un puits sans fond.
Sources : Financial Times, 10/02/2009 ; CNBC, 10/02/2009
50 Sources : International Herald Tribune, 09/02/2009 ; Bloomberg, 09/02/2009 ; Los Angeles Times, 07/01/2009 ; Freedom
Arizona, 30/01/2009 : SignOnSanDiego, 15/01/2009
51 Source : SafeHaven, 02/02/2009
52 Source : Le Temps, 10/02/2009
53 Source : Spiegel, 13/02/2009
54 Le Telegraph de Londres s'est d'ailleurs fait une spécialité en la matière. C'est dommage car c'est souvent un journal très
incisif et bien informé en matière économique et financière. Nous le citons d'ailleurs souvent comme source. Mais, depuis des
années, bien avant la crise, il est notable que certains de ses journalistes économiques sont des « anti-Euros » pathologiques,
n'hésitant pas à travestir les informations pour servir leur thèse. La chute de la Livre et la dépression US n'a semble-t-il fait
qu'aviver leur pathologie qui les conduit à dire n'importe quoi depuis quelques temps.
55 Sauf peut-être un actif financier britannique. Source : Telegraph, 10/02/2009
56 C'est le syndrome des centres commerciaux fantômes. Source : PrudentBear, 04/02/2009
57 Source : USAToday, 14/02/2009
58 Ainsi, en cas de risque de cessation de paiement de l'Irlande ou de la Grèce, il est plus que certain que l'urgence imposera à
l'Allemagne, la France et quelques autres de se porter au secours du pays concerné. C'est une option impossible à discuter
politiquement en théorie, mais tout-à-fait réalisable en urgence. C'est l'un des nombreux paradoxes du fonctionnement de l'UE.
Source : Times, 15/02/2009
59 Et nous maintenons notre anticipation sur la valeur à moyen et long terme de ces devises, à l'inverse du Dollar US, de la Livre
Sterling et du Franc suisse.
mercredi 18 février 2009
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