jeudi 10 juillet 2008

* La création de monnaie

Depuis le 15 août 1971, date à laquelle le président Nixon a décidé de supprimer la libre convertibilité du dollar en or, la monnaie a été dématérialisée. Conséquence : l'argent est devenu une dette, car pour qu'il y en ait, il faut au préalable qu'il ait été emprunté.



Par Jacques Cheminade

Depuis le 15 août 1971, date à laquelle le président Nixon a décidé de supprimer la libre convertibilité du dollar en or, la monnaie a été dématérialisée. Conséquence : l’argent est devenu une dette, car pour qu’il y en ait, il faut au préalable qu’il ait été emprunté.

Qui crée cet « argent » ? Les instituts d’émission (banques centrales ont le monopole de l’émission de monnaie dite fiduciaire (pièces et billets) ». Cependant, si l’on prend l’ensemble de la création monétaire, c’est-à-dire M3 (les billets et pièces, plus toute la monnaie scripturale et électronique, les dépôts à vue, autres dépôts négociables et instruments divers négociables), l’on s’aperçoit que les banques commerciales privées créent 93% de la masse monétaire totale. Elles le font par le biais du crédit. Et, contrairement à ce que croient la plupart des gens, elles ne prêtent pas ce qu’elles détiennent en dépôt, elles créent de la monnaie ex nihilo, à partir de rien, même si cette création a lieu « sous garanties ». Les crédits précèdent ainsi les dépôts, car c’est avec la monnaie obtenue par crédit que l’on peut faire des opérations, procéder à des versements et que l’on peut déposer.

C’est ce qui fait dire à Maurice Allais, prix Nobel 1988 de Sciences économiques : « Dans son essence, la création de monnaie ex nihilo actuelle par le système bancaire est identique (...) à la création de monnaie par des faux monnayeurs. Concrètement, elle aboutit aux mêmes résultats. La seule différence est que ceux qui en profitent sont différents. »

C’est précisément là que se trouve le coeur du problème. Prétendre voir la dette comme une chose en soi, impliquant une contrainte objective, relève soit de l’ignorance, soit de la tromperie. La vraie question est en effet qui a le pouvoir de créer la monnaie-crédit et pour en faire quoi ?

Il est aujourd’hui clair que ce pouvoir appartient aux banques commerciales privées, selon la loi des Etats et des traités européens, et que l’Etat doit leur emprunter (s’endetter auprès d’elles) pour pouvoir investir. Quand il doit construire des routes, des hôpitaux ou des crèches, il doit emprunter aux acteurs privés, qui créent, eux, la monnaie à partir de rien, et payer un intérêt, au lieu de pouvoir lui-même créer l’argent dont il a besoin, en anticipation des bénéfices qu’il peut attendre de l’équipement de la nature et de l’homme, sans verser d’intérêt à quiconque.

Il s’agit là d’un choix politique qui n’a rien à voir avec l’intérêt général. Car depuis 1971, le pouvoir de ces acteurs privés (banques, sociétés d’assurance) leur a permis de dépouiller les Etats par l’accumulation des intérêts sur les intérêts (intérêts composés). Au profit de qui ? Des réseaux du capital financier mondialisé dont le centre d’opérations est la City de Londres et Wall Street la succursale.

Ainsi, les compagnies d’assurance lorgnent le marché de la santé publique, les fonds d’investissements (private equity) s’emparent de cliniques, comme en Lorraine, et tout l’argent soustrait aux Etats ou produit à partir de rien sert aux spéculations financières internationales. Ceux qui spéculent ont ainsi d’abord extrait des fonds (ils appellent eux-mêmes cela « cash extraction ») de la bourse, puis du secteur immobilier et maintenant des produits agricoles et des matières premières, au détriment des producteurs et des consommateurs.

Ségolène Royal, « socialiste » (premier paradoxe) et probablement ignorante (deuxième paradoxe) joue ici doublement le rôle d’idiot utile en clamant à tous vents que nous devons limiter les dépenses publiques et rembourser la dette sans en contester l’origine ni la fonction. Rembourser, mais au profit de qui ? Les intérêts anglo-saxons que servent, sans d’ailleurs s’en cacher, les Matthieu Pigasse (Lazard) et autres Harvard boys (Philippe Aghion), parlent d’eux-mêmes.



* Les étapes du « racket financier »15 août 1971 : dématérialisation totale de la monnaie. Le président américain Richard Nixon, conseillé par George Shultz (qui sera plus tard le mentor des administrations Bush père et fils), supprime la libre-convertibilité du dollar en or. Ce découplage sera suivi de mesures de dérégulation des marchés permettant des spéculations de plus en plus énormes.

3 janvier 1973 : loi Pompidou-Giscard d’Estaing par laquelle la Banque de France abandonne son rôle de service public. Article 25 : « Le Trésor public ne peut plus présenter de ses propres effets à l’escompte de la Banque de France. » Dès lors, sous prétexte de lutte anti-inflationniste, le recours au crédit productif public est interdit.

Mars 1973 : régime des changes internationaux flottants. Il n’y a plus de contrepartie métallique à la monnaie émise, seulement de la dette. Les spéculateurs peuvent s’en donner à coeur joie avec des produits financiers dérivés, en particulier sur les taux de change entre monnaies (on parie plusieurs fois sa mise, avec un effet de levier, moyennant des informations obtenues sur les pressions politiques exercées sur telle ou telle devise d’Etat).

1987 : Alan Greenspan combat l’effondrement des bourses mondiales par l’émission pratiquement illimitée de monnaie-crédit en faveur des marchés.

1992 : Traité de Maastricht. Prélude à un euro découplé de l’autorité des Etats. Abdication de fait des souverainetés nationales par privation des moyens de les exercer. Son article 104, § 1, « interdit en effet à la BCE et aux banques centrales des Etats membres, si après dénommées "banques centrales nationales", d’accorder des découverts ou tout autre type de crédit aux institutions ou organes de la Communauté, aux administrations centrales, aux autorités régionales ou locales, aux autres autorités publiques, aux autres organismes ou entreprises publics des Etats membres ; l’acquisition directe, auprès d’eux, par la BCE, ou les banques centrales nationales, des instruments de leur dette est également interdite. »

4 août 1993 : loi Mitterrand-Balladur donnant son indépendance à la Banque de France. Son article 3 lui interdit d’autoriser des découverts ou d’accorder tout autre type de crédit au Trésor public ou à tout autre organisme ou entreprise publique, de même que l’acquisition de titres de leur dette.

Juin 1997 : Jacques Cheminade et Christophe Lavernhe rédigent Un plan de relance par le crédit productif, ou la nécessaire transformation de la monnaie en capital, expliquant comment les monnaies nationales sont prises en otage par les intérêts financiers depuis le renoncement de 1973 en France et le Traité de Maastricht à l’échelle européenne. Rejet de la proposition d’avances par la banque de France au Trésor public pour un plan de relance économique, faite par un groupe parlementaire français, jugée contraire au Traité de Maastricht et au choix effectué en 1973.

12 mai 1998 : loi Chirac-Jospin, intégrant la Banque de France au Système européen de banques centrales (SEBC) et à la BCE. Le Traité de Maastricht prévoyant déjà que « l’objectif principal du SEBC est de maintenir la stabilité des prix ».

1999 : vote aux Etats-Unis du Gramm-Leach-Bliley Act, qui annule le Glass-Steagall Act voté sous la présidence Roosevelt. Désormais, il n’y a plus de séparation aux Etats-Unis entre banques de dépôt et banques d’affaires, et les banques sont autorisées à fusionner avec des sociétés d’assurance. Chute de la « muraille de feu » prudentielle. L’Europe, elle aussi, déréglemente.

Mai 2005 : rejet par le peuple français du Traité constitutionnel européen qui, dans son article III-181, aurait « constitutionnalisé » l’article 104, § 1 du Traité de Maastricht.

2007-2008 : le Traité de Lisbonne reprend (article 123 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne) l’article 104, §1 du Traité de Maastricht. L’objectif est bel et bien d’abandonner la création monétaire aux banques privées, dans un contexte de mondialisation financière sans limites.


La réalité est que l’endettement de la France est passé de 229 milliards en 1980 à 1142 milliards en 2006, puis environ 1250 milliards actuellement.

On nous fait croire que cette augmentation (multiplication par cinq en 26 ans) serait due à l’incurie de l’Etat ou à la consommation excessive de certaines catégories de Français. Ce raisonnement, de type vichyste, est fait pour masquer la vérité, et ceux qui le font, consciemment ou non, deviennent les complices d’une oligarchie financière dont la ponction sur l’économie réelle produit aujourd’hui la pire crise de l’époque contemporaine.


La hausse de notre endettement, comme celle d’autres Etats, est en effet essentiellement due à un racket des réseaux financiers privés sur la richesse publique. Il s’est agi, en privant l’Etat de ses moyens de se financer (cf. encadrés ci-contre), de créer une accumulation de liquidités sans précédent, à travers le paiements des intérêts de la dette, entre les mains des établissements financiers privés prêteurs. Le bout de la chaîne est aujourd’hui atteint avec les partenariats public-privé (PPP, actuellement votés par l’Assemblée nationale), qui contraignent l’Etat à payer un loyer à ceux auxquels il a confié le service public : le monde à l’envers.

En fait, dans ces conditions, comme le soulignent André-Jacques Holbecq et Philippe Derudder dans La dette publique, affaire rentable : « Au total, entre le début de 1980 et la fin de 2006, nous avons payé 1142 milliards d’euros d’intérêts. La dette, quant à elle, a augmenté de 913 milliards d’euros. Pendant ces vingt-six ans, si nous n’avions pas eu à emprunter ces 913 milliards sur les marchés monétaires, c’est-à-dire si nous avions pu créer notre monnaie, faire exactement ce qu’ont le droit de faire les banques privées, si nous n’avions pas abandonné au profit des banques notre droit de seigneuriage, c’est-à-dire le bénéfice, sous forme d’intérêts, de la création monétaire, la dette qui était de 229 milliards d’euros début 1980 serait inexistante aujourd’hui. »

Qui plus est, le rapport de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) nous révèle qu’« en terme de dette nette, i.e. la dette brute moins les actifs financiers détenus par les administrations, la France est à 44% du PIB, nettement en dessous de la zone euro (58%), un peu en dessous de l’ensemble de l’OCDE (48%) et des Etats-Unis (47%). Il n’y a donc pas de singularité française. La hausse de longue période se retrouve dans la quasi-totalité des pays de l’OCDE, bien q’un peu plus accentuée dans le cas de la France, qui part de plus bas. Les administrations publiques possèdent aussi des actifs physiques (des infrastructures). Globalement, la richesse nette des administrations publiques représentait 20% du PIB en 2003. Certes le nouveau-né français hérite d’une dette publique, mais il hérite aussi d’actifs publics : routes, écoles, maternités, équipements sportifs (...) Si l’on considère l’ensemble des agents, publics et privés, la richesse nationale se compose du stock de capital physique et des avoirs nets accumulés sur l’étranger. Les actifs physiques représentaient quatre fois le PIB de la France en 1993, 5,2 fois en 2003 ; les avoirs nets de la France sur l’étranger sont faiblement positifs, de l’ordre de 9% du PIB en 2005. Le nouveau-né français est donc riche en moyenne, à sa naissance, de 166000 euros », bien qu’endetté par ailleurs de 18500 euros, à population égale.

Pour conclure, disons à Ségolène Royal que rien, rien n’impose, économiquement, que les acteurs privés maîtrisent la création monétaire. Au contraire, toute politique progressiste doit avoir pour objet de la leur reprendre, au moins pour financer l’équipement des hommes et de la nature, c’est-à-dire les investissements infrastructurels à long terme.

Alors, faut-il croire Panurge et s’endetter sans limites ? Bien sûr que non, la sagesse est dans le camp de Pantagruel. Il ne faut pas laisser les prêteurs mettre les pays en coupe réglée, et il faut immédiatement abroger toute disposition européenne allant en ce sens, qu’elle se trouve dans les traités de Maastricht ou de Lisbonne, de même que toute disposition française. La limite à l’émission de capital productif public, car il y en a une, tient au potentiel que l’on peut, et doit mobiliser. C’est toute la question de l’économie physique : si la monnaie créée se dirige vers l’équipement de la nature et de l’homme, et que les ressources pour le faire soient réunies, tant en termes de capacité humaine que de capacité technologiques, l’inflation ne pourra se manifester, car les crédits-monnaie susciteront un surplus qui ira au-delà des sommes introduites, au moins à terme. Les projets à financer doivent donc être soigneusement préparés, avec une évaluation des capacités humaines et physiques. Il est aujourd’hui souhaitable que cet impact soit mesuré à l’échelle de plusieurs pays, coordonnant leurs politiques pour mieux produire et non pour engendrer une valeur ajoutée monétaire sans contrepartie.

C’est ce que voulait dire Pantagruel, c’est ce qu’ont pratiqué le New Deal de Roosevelt et les premiers Plans français des Trente Glorieuses, en relevant l’économie au profit du plus grand nombre et des générations à naître. C’est ce que les amis et adversaires de Ségolène Royal ont cessé de faire depuis quarante ans.

Ce que Ségolène royal écrit sur la dette
« Dernier exemple, celui de la dette, sujet macroéconomique par excellence, que l’on a tendance à ne traiter que sous l’angle comptable et qui paraîtra le plus éloigné des sujets de ce chapitre. Ce n’est pourtant pas le cas. La réduction de la dette, ce n’est pas une priorité parmi d’autres, c’est une obligation. [c’est nous qui soulignons] La dette n’est pas un prétexte pour faire moins, c’est une obligation pour faire autrement. (...) Notre dette est le produit d’un système qui fonctionne mal, d’un Etat rigide ou de groupes de pression puissants.

« Si on ne remet pas en cause les règles du jeu, on ne réussira pas à faire baisser la dette. Il faut rompre avec une mauvaise habitude française : ne jamais remettre en cause les anciennes dépenses, et venir y empiler les nouvelles. La nouvelle règle du jeu, en ce domaine, est simple : 1 euro dépensé doit être 1 euro utile. Cela signifie très concrètement : ne pas engager de dépenses nouvelles sans économies sur les dépenses anciennes ; reconduire des dépenses anciennes seulement après évaluation de leurs résultats avec les usagers. Et surtout, un Etat efficace grâce à une nouvelle étape de décentralisation. »

Extrait de Si la gauche veut des idées, de Ségolène Royal et Alain Touraine, Grasset, 336 p., 20euros


Comment Panurge loue les debteurs et emprunteurs (chapitre 3)
« Mais (demanda Pantagruel) quand serez-vous hors de debtes ?

– Es calendes grecques, respondit Panurge, lorsque tout le monde sera content et que serez héritier de vous-mesmes. Dieu me guarde d’en estre hors. Plus lors ne trouverois qui un denier me prestast. Qui au soir ne laisse levain, jà ne fera au matin lever paste. Doibvez tousjours à quelqu’un. Par icelluy sera continuellement Dieu prié vous donner bonne, longue et heureuse vie, craignant sa debte perdre ; tousjours bien de vous dira en toutes compaignies, tousjours nouveaulx créditeurs vous acquestera, affin que par eulx vous faciez versure, et de terre d’aultruy remplissez son fossé. Quand jadis en Gaulle, par l’institution des druydes, les serfz, varletz et appariteurs estoient tous vifs bruslez aux funérailles et exèques de leurs maistres et seigneurs, n’avoient-ilz belle paour que leurs maistres et seigneurs mourussent, car ensemble force leurs estoit mourir ? Ne prioient-ilz continuellement leur grand dieu Mercure, avecques Dis, le père aux escuz, longuement en santé les conserver ? N’estoient-ils soingneux de bien les traicter et servir ? Car ensemble povoient-ils vivre, au moins, jusques à la mort. Croyez qu’en plus fervente dévotion vos créditeurs priront Dieu que vivez, craindront que mourez, d’autant que plus ayment la manche que le braz et la denare que la vie. Tesmoings les usuriers de Landerousse, qui naguères se pendirent, voyans les bleds et vins ravaller en pris et bon temps retourner. »

(...)

– Et faict quoiy ? Debtes. O chose rare et antiquaire ! Debtes, diz-je, excédentes le nombre des syllabes résultantes au couplement de toutes les consonantes avecques les vocales, jadis projecté et compté par le noble Xénocrates. A la numérosité des créditeurs si vous estimez la perfection des debteurs, vous ne errerez en Arithmétique pratique. »

(...)

« De cestuy monde rien ne prestant ne sera qu’une chienerie, que une brigue plus anomale que celle du Recteur de Paris, qu’une diablerie plus confuse que celle des jeuz de Doué. Entre les humains l’un ne saulvera l’autre ; il aura beau crier : "A l’aide ! Au feu ! Au meurtre !" personne ne ira à secours. Pourquoy ? Il n’avoit rien presté, on ne luy debvoit rien. Personne n’a intérest en sa conflagration, en son naufrage, en sa ruine, en sa mort. Aussi bien ne prestoit-il rien. Aussi bien n’eust-il par après rien presté. »

Comment Pantagruel déteste les debteurs et emprunteurs
Pantagruel :


« Et suys d’opinion que ne erroient les Perses, estimans le second vice estre mentir, le premier estre debvoir. Car debtes et mensonges sont ordinairement ensemble ralliez.

« Je ne veulx pourtant inférer que jamais ne faille debvoir, jamais ne faille prester. Il n’est si riche qui quelques foys ne doibve. Il n’est si paouvre, de qui quelques foys on ne puisse emprunter.

« L’occasion sera telle que l’a dict Platon en ses Loix, quand il ordonne qu’on ne laisse chés soy les voysins puiser eau, si premièrement ilz n’avoient en leurs propres pastifz foussoié et bêché jusques à trouver celle espèce de terre qu’on nomme céramite (c’est terre à potier), et là n’eussent rencontré source ou dégout d’eaux. Car icelle terre par sa substance, qui est grasse, forte, lize et dense, retient l’humidité et n’en est facilement faict escours ne exhalation.

« Ainsi est-ce grande vergouigne, tousjours, en tous lieux, d’un chascun emprunter, plus toust que travailler et guaingner. Lors seulement devroit-on (scelon mon jugement) prester, quand la personne travaillant n’a peu par son labeur faire guain, ou quand elle est soubdainement tombée en perte inopinée de ses biens. »

Source: http://www.alterinfo.net/La-creation-de-monnaie_a21601.html

Explication du pouvoir de contrôle des cartels bancaires


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