Interview De L'Epidémiologiste Tom Jefferson
Tom Jefferson : Je me lave les mains très souvent - et cela pas seulement à cause de la grippe porcine. C'est probablement la mesure de précaution la plus efficace qui existe contre tous les virus respiratoires et la majorité des virus des gastro-entérites de même que contre les microbes.
SP : Considérez vous la grippe porcine comme particulièrement inquiétante ?
TJ : C'est vrai que les virus de la grippe sont imprévisibles, donc cela appelle un certain degrés de vigilance. Mais l'une des caractéristiques extraordinaires de cette grippe - et toute la saga de la grippe - c'est qu'il y a des personnes qui font des prédictions d'une année sur l'autre et que cela devient de pire en pire. Jusqu'à présent aucune d'entre elles ne se sont réalisées. Par exemple, qu'est-il arrivé avec la grippe aviaire, qui était supposée nous tuer tous ? Rien. Mais cela ne stoppe pas pour autant ces personnes qui continuent à faire leurs prédictions. Parfois on a le sentiment qu'il y a tout un secteur industriel qui attend presque qu'une pandémie éclate.
SP : De qui voulez vous parler ? L 'OMS ?
TJ : L'OMS et les responsables de la santé publique, les virologues et les firmes pharmaceutiques. Ils ont construit cette machine tout autour d'une pandémie imminente. Et il y a beaucoup d'argent impliqué, et d'influence, et de carrières, et des institutions entières ! Et il a juste fallu que l'un de ces virus de la grippe mute pour que la machine commence à grincer.
SP : Sur la page d'accueil de votre site en italien, il y a "un compte à rebours pandémique" qui expire le 1er Avril. Ne pensez vous pas que la situation demande un peu plus de sérieux ?
TJ : Je l'utilise juste de façon ironique pour exposer la fausse certitude dont nous sommes abreuvés. Est-ce que 1/3 de la population mondiale va attraper la grippe porcine ? Personne ne peut le dire avec certitude actuellement. Pour l'instant, au moins, je ne voit pas de différence fondamentale, pas de différence dans la définition entre cette grippe et une épidémie normale de grippe. La grippe porcine aurait même pu restée ignorée si elle avait été causée par un virus inconnu plutôt qu'un virus grippal.
SP : Pensez vous que l'OMS a déclaré prématurément une pandémie ?
TJ : Ne pensez vous pas qu'il y ait quelque chose de singulier dans le fait que l'OMS ait changé sa définition d'une pandémie . L'ancienne définition c'était un nouveau virus, qui se propageait rapidement, contre lequel on avait aucune immunité, et qui provoquait un taux élevé de morbidité et décès. Maintenant les deux dernières caractérisations ont été abandonnées et c'est comme cela que la grippe porcine est devenue une pandémie.
SG : Mais année après année, 10 000-30 000 personnes en Allemagne seulement sont décédées de la grippe. Dans le monde occidental, la grippe est la maladie infectieuse la plus mortelle qui existe.
TJ : Attendez une minute ! Ces chiffres ne sont rien de plus que des estimations. Avant tout vous devez distinguer entre une maladie qui ressemble à la grippe et une vraie grippe, ce que l'on appelle une vraie grippe. Toutes les deux ont les mêmes symptômes : un accès brusque de fièvre, mal de gorge, toux, douleur rhumatismale dans le dos et les jambes, bronchite possible et pneumonie. Mais les vraies grippes elles sont causées par des virus de la grippe, tandis qu'il existe plus de 200 virus différents qui provoquent des maladies de type grippal. Lorsqu'il s'agit de statistiques portant sur des soit disant décès dus à la grippe, vous avez toujours d'autres causes de décès provoqués par d'autres virus qui y sont inclus. En fait, dans le cas de personnes âgées qui succombent à une pneumonie personne ne fait d'autopsie pour savoir si c'est vraiment le virus de la grippe qui les a tuées. Environ 7% des cas de maladies de type grippal sont causés par des virus de la grippe. C'est un très petit pourcentage. Ce que je sais c'est que la vraie grippe est systématiquement surestimée.
SP : Et qu'en est-il de ces 200 et + autres types de virus ?
TJ : Ils n'ont pas la même renommée que la grippe. Les chercheurs ne sont tout simplement pas intéressés par cela. Prenez le cas du rhyno virus, un virus dérivé du cheval. C'est l'agent le plus communément isolé dans les rhumes habituels. Il existe une centaine de différents type de ces rhyno virus. Ils provoquent habituellement seulement des écoulements de nez, mais ils peuvent être aussi mortels. Ou ce que l'on appelle le RSV, le virus respiratoire syncytial humain, qui est très dangereux pour les nourrissons et les enfants en bas âge.
SP : Alors pourquoi les chercheurs ne sont-ils pas intéressés par cela ?
TJ : Facile; ils ne peuvent gagner de l'argent avec. Avec les rhynovirus, le RSV, et la majorité des autres virus, c'est difficile de gagner plein d'argent ou faire carrière. Par contre, contre la grippe, il y a des vaccins et il y a des médicaments qu'on peut vendre. Et c'est là que se trouve le magot pour l'industrie pharmaceutique. Elle fait en sorte que les articles de recherche soient publiés dans les revues de renom. Et c'est pour cela qu'on porte plus d'attention là dessus, et tout le domaine de la recherche devient intéressant pour des scientifiques ambitieux.
SP : Mais il y a t-il une raison scientifique d'être intéressé par les virus de la grippe ?
TJ : Le fait de se concentrer strictement sur la grippe n'est pas seulement malavisé mais aussi dangereux. Souvenez vous de quelque chose dénommé SARS ? C'était vraiment une épidémie dangereuse. C'était comme un météore : elle est arrivée soudainement et est repartie aussi vite et a tué un grand nombre de personnes. SARS nous a pris par surprise car elle était provoquée par un virus coronarien complètement inconnu. D'où venait -il ? Ou est-il allé ? Ou bien est-il toujours ici ? Nous ne savons toujours pas. Il y a beaucoup d'étranges choses comme cela qui sortent. Chaque année, un nouvel agent est identifié. Par exemple, il y a quelque chose appelé bocavirus, qui peut provoquer une bronchite et la pneumonie chez les enfants en bas âge. Et il y a quelque chose qu'on appelle metapneumovirus, dont des études ont dit qu'il pouvait provoquer plus de 5% de toutes les maladies de type grippal. Donc nous devrions garder les yeux ouverts dans toutes les directions.
SP: Mais la grande pandémie de 1918/1919 a été provoquée par un virus de la grippe, et il a tué jusqu'à 50 millions de personnes dans le monde. Ou bien est ce que les scientifiques contestent cela ?
TJ : C'est très possible que cela ce soit passé ainsi, mais il y a encore beaucoup d'aspects de la pandémie de 1918/19 qui nous surprennent. C'est seulement y a 12 ans que nous avons appris que c'est le virus le H1N1 qui l'a provoquée. Mais il y avait à l'époque beaucoup d'activité bactériologique. Et le fait que le taux de mortalité due à la grippe ait chuté de façon si dramatique après la Deuxième Guerre Mondiale reste trouble. Aujourd'hui, on a seulement une fraction de ce qui était la norme avant la guerre. En ce qui concerne les dernières pandémies, tel que "la grippe asiatique" de 1957 et "la grippe de Hong Kong " de 1968/69, on ne peut affirmer que les statistiques de décès dans leur ensemble fournissent des chiffres exceptionnels.
Contradictions entre découvertes scientifiques et la pratique
TJ : C'est une question que vous devriez poser à l'OMS !
SP : A votre avis, que pensez qu'il faille pour qu'un virus comme celui de la grippe porcine devienne une menace mondiale ?
TJ : Malheureusement on peut seulement dire qu'on ne sait pas. Je suspecte que l'ensemble de ce problème soit plus complexe que nous ne sommes capables de l'imaginer actuellement. Etant donné tous les virus qui produisent des symptômes de type grippal, peut être que le postulat de Robert Koch qu'un pathogène particulier produit une maladie particulière ne va pas assez loin.Pourquoi, par exemple, nous n'attrapons pas la grippe en été ? Pourtant, l'élément pathogène est là toute l'année ! Déjà au XIXème siècle, le chimiste allemand et hygiéniste, Max von Pettenkofer, avait développé une théorie sur comment le contact de l'élément pathogène avec l'environnement peut altérer la maladie. Je pense que des recherches dans cette direction valent la peine d'être entreprises. Peut être que cela nous permettrait de mieux comprendre la pandémie de 1918/19 ou d'être capable d'estimer les dangers de la grippe porcine.
SP : Les humains ont de meilleures défenses aujourd'hui qu'en 1918 et probablement que dans peu de temps nous aurons un vaccin contre la grippe porcine. La semaine dernière, le gouvernement fédéral allemand a annoncé qu'il voulait acheter suffisamment de vaccins pour couvrir les besoins de 30% de la population. Dans quelle proportion cela va-t-il nous protéger de la maladie ?
TJ : Quand il s'agit de vaccination contre une pandémie, comme on dit en anglais la preuve est dans le pudding. La preuve c'est en l'utilisant. Nous verrons. Cela génère une réponse d'anticorps,mais est ce que cela protégera vraiment de la maladie ?
SP : Etes vous pessimiste à ce sujet ?
TJ : Non. Je dis simplement que je pense que nous sommes sur le point de trouver ( rire). Ayons cette conversation dans un an environ voulez vous ?
SP : Pendant un certain nombre d'années, dans le cadre de la collaboration Cochrane, vous avez systématiquement évalué toutes les études menées sur l'immunisation contre la grippe saisonnière. Est ce que cela fonctionne bien ?
TJ : Non cela ne fonctionne pas bien. Un vaccin contre la grippe ne marche pas contre la majorité des maladies de type grippal car il vise seulement à combattre les virus de la grippe. Le vaccin ne change rien en ce qui concerne l'élévation du taux de décès pendant les mois d'hiver. Et, même dans le meilleur des cas, l'efficacité du vaccin est d'une certaine manière limitée contre les virus de la grippe. Entre autres choses, il existe toujours le danger que le virus de la grippe qui circule ait changé au moment ou la production du vaccin sera achevée avec comme résultat, dans le pire des cas, que le vaccin sera totalement inefficace. Dans le meilleur des cas, les quelques études décentes qui existent montrent que le vaccin fonctionnent principalement avec des jeunes adultes sains. Avec les enfants et les personnes âgées cela aide un peu , et encore.
SP : Mais ne sont ce pas là ces groupes pour laquelle l'immunisation contre la grippe est recommandée ?
TJ : Effectivement. C'est l'une des contradictions entre les découvertes scientifiques et la réalité, entre la preuve et la pratique.
SP : Donc, qu' y -a-t-il derrière cette contradiction ?
TJ : Bien sûr cela a à voir avec l'influence de l'industrie pharmaceutique. Mais cela a à voir également avec le fait que l'importance de la grippe est complètement surestimée. C'est liée aux financements pour la recherche, le pouvoir, l'influence et les réputations scientifiques !
SP : Donc actuellement est-ce raisonnable de continuer à vacciner contre la grippe saisonnière ?
TJ : Je ne vois aucune raison de le faire mais ce n'est pas moi qui prend les décisions.
SP : Et qu'en est-il du Tamiflu et du Relenza, deux des médicaments anti grippe qui sont envisagés contre la grippe porcine ? Dans quelle mesure fonctionnent-ils vraiment ?
TJ : Si pris au bon moment, en moyenne, le Tamiflu réduit la duré de la vraie grippe d'une journée. Une étude a aussi trouvé qu'il diminue le risque de pneumonie.
SP : Ces médicaments pourraient-ils réduire les taux de mortalité associés à la grippe ?
TJ : C'est possible, mais cela a encore besoin d'être scientifiquement prouvé.
SP : Et qu'en est-il des effets secondaires ?
TJ : Le Tamiflu peut causer des nausées. Et il y a des éléments qui indiquent qu'il peut y avoir des effets secondaires psychiatriques. Il y a des informations en provenance du Japon indiquant que des jeunes personnes qui ont pris du Tamiflu ont eu des réactions psychotiques sévères identiques à celles que l'on trouve dans la schizophrénie.
SP :: Donc, est-ce que c'est raisonnable finalement d'utiliser ces médicaments ?
TJ : Lorqu'on est en présence de maladies graves oui. Mais en aucune circonstance le Tamiflu devrait être distribué dans toutes les écoles, comme actuellement cela a été fait parfois. Etant donné cela, nous avons déjà des informations disant qu'il y a déjà des souches virales résistantes de la grippe porcine.
SP : En Allemagne, le gouvernement est supposé faire des stocks de médicaments contre la grippe pour 20% de la population. Pensez vous que c'est raisonnable ?
TJ : Bon, il existe au moins plusieurs manières beaucoup plus économiques d'accomplir beaucoup plus. Par exemple, on devrait enseigner aux enfants scolarisés à se laver les mains régulièrement- de préférence après chaque classe ! Et chaque aéroport devrait installer quelques centaines de lavabos. Quiconque atterit et ne se lave pas les mains devrait être arrêter par la police des frontières. On pourrait le détecter en mettant par exemple une substance colorante invisible neutre dans l'eau. Et porter des masques peut être raisonnable aussi.
SP Est-ce que cela a déjà été prouvé que ces mesures fonctionnent ?
TJ : Il existe plusieurs bonnes études sur le sujet qui ont été réalisées durant l'épidémie de SARS. Il y a ce que l'on nomme des études de cas portant sur l'examen d'individus qui ont été en contact avec le virus du SARS. Ils ont comparé les caractéristiques de ceux qui avaient été infectés par le virus par ce contact et ceux des personnes qui n'avaient pas été infectées. Les conclusions des études sont très significatives.
SP : Vous semblez plutôt impressionné.
TJ : Je le suis. Ce qui est formidable dans ces mesures c'est que non seulement elles ne sont pas onéreuses, mais aussi qu'elles peuvent aider pas seulement contre les virus de la grippe. Par cette méthode on peut combattre les 200 pathogènes qui provoquent les symptômes type grippal de même que les virus des gastroentérites, et des microbes complètement inconnus. Une étude réalisée au Pakistan a montré que le lavage des mains peut même sauver des vies d'enfants. Quelqu'un devrait obtenir un prix Nobel pour cela !
SP : Mr Jefferson nous vous remercions pour cette interview.
Interview réalisée par Johann Grolle et Veronica Hackenbroch pour Der Spiegel
Article publié le 21/07/09 sur le Der Spiegel
Article publié sur le site BMJ (helping doctors make better decisions) qui s'adresse aux médecins
Influenza vaccination: policy versus evidence, Tom Jefferson 's Article in english